Les éleveurs creusois veulent engraisser et «terminer» chez eux... mais est-ce la solution ?

Publié le par Rédacteur TC

La situation des éleveurs de bovin viande creusois est catastrophique, hormis pour quelques koulaks.

Leurs revenus sont bas, très bas. Ils se débattent pour survivre, tout en ayant face à eux des ennemis très forts, mieux organisés, immensément plus riches, telles les entreprises de transformation de la viande (Charal, etc.) et les grandes surfaces. Ces ennemis les écrasent. Ils jouent sur la concurrence entre les éleveurs pour baisser les prix d'achat.

S'ajoutent à cela les crises sanitaires (vache folle, FCO, etc.), et la spéculation boursière, qui fait monter et descendre les cours.

Face à cette avalanche de difficultés, les éleveurs ont bien tenté de s'organiser au sein de coopératives, pour résister. Mais cela n'a pas fondamentalement changé la difficile situation dans laquelle se trouvent la masse d'entre eux. Les gros mangent les petits. Telle est la loi de la jungle qui s'applique à la petite paysannerie sous le capitalisme.

Pour essayer d'améliorer leurs maigres revenus, certains ont lancé l'idée de créer un centre d'engraissement en Creuse. Actuellement la plupart des éleveurs de bovin viande vendent leurs jeunes veaux en Italie, où ils sont engraissés et préparés pour être abattus. Vendre des broutards de quelques mois est moins intéressant financièrement que vendre un veau terminé, prêt à partir à l'abattoir. Avoir un tel appareil de production près de chez eux permettrait, pensent ces éleveurs, de voir leurs revenus s'améliorer.

Le centre est à l'état de projet. Nous verrons bien s'il voit le jour. Reste que cela ne changera pas fondamentalement la situation.

 

Keynes mon amour

L'agriculture est là pour nourrir les sociétés humaines. Elle est un service public, déléguée à des petits propriétaires. Comme telle, elle devrait être soumise à un plan strict de production à atteindre en fonction des besoins humains recensés.

Mais dans le règne du capitalisme, c'est le marché, et non le plan selon les besoins, qui, en dernier lieu, organise et régule. Chaque agent économique arrive avec son pouvoir d'achat. La lutte est féroce mais jouée d'avance. Les plus gros capitaux l'emportent à tous les coups. Ils le font au détriment du plus faible, le petit capitaliste et le prolétaire.

Ce statut de petit capitaliste place l'éleveur creusois dans une situation impossible sous la seule loi du marché. Voilà pourquoi l'État intervient dans le jeu du marché et permet à l'agriculteur de toucher des revenus complémentaires (la politique agricole commune - PAC) à ses revenus tirés du commerce. L'agriculteur devient un quasi-fonctionnaire, sa liberté n'est plus qu'un mythe... mais il y tient. Car il vit dans le mythe bourgeois de la propriété, et toute idée de collectivisme ou d'étatisme lui fait peur.

Et puis il rêve toujours, en bourgeois, même petit, au monde merveilleux (et inexistant) où c'est le marché, le prix des marchandises se confrontant, qui régule tout. Et cela même si, on l'a vu, il n'aurait aucune chance de survivre là-dedans. Ainsi, actuellement, on peut voir le syndicat n°1 des agriculteurs, la FNSEA, demander « une politique de prix » pour les agriculteurs, entendue par opposition à une « politique de revenu » (« d'assistanat », comme la PAC actuelle fonctionne). Ce prix ne peut être celui du marché ou de la concurrence libre et non faussée, car cela conduirait droit à la faillite de la majorité des exploitants. Ce prix, les pouvoirs publics, garant des intérêts des agriculteurs (selon la FNSEA), doivent intervenir pour le maintenir à un niveau permettant de vivre décemment aux paysans.

Le rêve des agriculteurs creusois, et français, actuel est essentiellement keynésien. C'est un rêve utopiste. La crise économique actuelle signifie que l'offensive contre les travailleurs et pour la bourgeoisie croît en intensité. Tous les états poursuivent en l'aggravant la politique qu'ils mènent depuis des décennies (baisse des budgets sociaux, augmentation du transfert des fonds de l'État vers les entreprises). Le subventionnement des paysans (PAC) pour qu'ils survivent va aller diminuant.

Les paysans attendent que l'État les protège. Impossible. Car l'état, c'est l'état du capital financier, des grands entreprises multinationales. Lui écrase les autres classes, mais a besoin d'une seule pour ses profits, la classe ouvrière. Au contraire, la paysannerie est une base sociale historique du régime bourgeois, mais en tant que petite-bourgeoisie, elle est vouée à disparaître sous le capitalisme, qui est le règne de la concurrence et de la course aux parts de marché par l'augmentation des taux de profit. C'est ce à quoi on assiste depuis plus d'un siècle.

Les éleveurs sont souvent de droite, marqués par l'idéologie bourgeoise. Ils doivent pourtant comprendre que cette grande bourgeoisie est leur ennemie. S'unir aux salariés contre elle serait la meilleure chose à faire. Il leur en coûtera simplement leurs mythes bourgeois. Quand seront-ils prêts à payer ce prix ?

Revenons à notre centre d'engraissement du sud Creuse. Verra-t-il le jour ? Rien n'est moins sûr pour l'instant, car un tel projet coûte cher. Et puis, les éleveurs trouveront-ils l'argent ?

Il est compréhensible que ce projet enthousiasme nombre d'éleveurs. Reste néanmoins que l'avenir de nombre d'entre eux s'annonce sombre, car la menace d'une disparition des aides PAC se profile pour après 2013.

Nadja Lemasson

Publié dans Agriculture

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